{Paru dans le JSH EPHJ 2025} Cette fois, le rédacteur en chef, au courant de ma collection de montres particulière et de ma passion authentique, m’a prié de sortir de ma mémoire ou de mon coffre, trois montres chargées de souvenirs.
Par Kenan Tegin, initiateur et co-fondateur du magazine Montres Passion, collectionneur
Chroniqueur régulier du Journal Suisse d’Horlogerie JSH

J’aimais raconter «mes montres» en après-séance à mon équipe chez Ringier. D’ailleurs, ledit rédacteur en chef qui en faisait partie, affirme toujours à qui veut l’entendre et malgré ses origines familiales horlogères, que c’est dans ces apartés informels qu’est née sa passion pour l’horlogerie…
Mon amour irraisonnable des montres me pousse à devenir collectionneur. Malgré moi, car collectionner coûte cher!
Ma Daytona
J’admirais cette montre, pas parce qu’elle était portée par des personnalités comme l’acteur Paul Newman, mais parce j’aimais la sobriété de son design. Reste que son prix me faisait hésiter. La «robustesse» émanant de son look et sa fonction chronographe me séduisait. J’ai toujours aimé les chronos, dans ma jeunesse je pratiquais l’athlétisme et le chronométrage des courses.
Nous sommes en 1993 (Ndlr: l’année du lancement de Montres Passion, Hebdo), je vais avoir 50 ans. Ma chère épouse, adorable, décide de m’offrir cette Rolex convoitée. Je suis encore ému en écrivant. Quelle générosité. C’était la dernière année des Daytona équipées d’un calibre El Primero de Zénith. Dès 1994 Rolex, dotait ces modèles d’un mouvement maison.
Les années 1990: à l’aube de ses 50 ans, la Daytona que lui offre son épouse, le 1er numéro de Montres Passion (1993), magazine horloger appuyé sur le lectorat de L’Hebdo (Ringier Romandie)

À l’époque, je la portais tous les jours. Elle est d’ailleurs un peu plus rayée que le reste de mes montres. L’année suivante, pendant nos vacances d’été au Maroc, à Agadir, au détour d’une promenade en ville. Je me fais arrêter par un vieux Monsieur: il m’empoigne le bras en plein trottoir et me dit de son fort accent arabe: «Je veux cette montre, je paierai le prix que vous voulez, il me la faut absolument!» Je me suis dégagé poliment. Gentiment, je lui ai répondu: «Je ne me séparerai jamais de ma Daytona». Aujourd’hui je ne la léguerai pas non plus. Après moi, je voudrais qu’elle soit offerte à un vrai collectionneur.
J’achète ma première montre, une Longines
À la fin de l’été 1969, j’ai été engagé comme économiste chargé d’introduire la comptabilité analytique au sein des Imprimeries Populaires à Lausanne, une entreprise réputée à taille humaine peuplée de collègues de bonne volonté: un emploi idéal pour un jeune comme moi! Les conditions de travail étaient intenses sur le plan de l’administration comptable. Les machines à calculer mécaniques étaient lentes et tombaient souvent en panne. L’informatique commençait timidement à s’introduire dans certaines entreprises du secteur. Nous étions en retard probablement autant en raison de notre méconnaissance de ces nouveaux outils que de leurs coûts élevés. Jeune universitaire, j’étais naturellement très intéressé par ces nouveautés technologiques.
Images du passé: 1er job aux Imprimeries Populaires à Lausanne. L’heure des filaments rouges et de son 1er achat horloger

Durant la deuxième année de mon activité, je me suis offert une calculatrice de poche électronique doté d’un affichage lumineux rouge. J’étais très fier de ma «Uher» (Ndlr: Uher était une marque allemande d’équipement électronique actuellement détenue et sous licence par Assmann Electronics de Bad Homburg) d’autant que la moitié de mes collègues était venue dans mon bureau pour l’admirer et que dans l’exercice de mon travail, j’ai gagné en efficience et en rapidité. Reste que le fanatique d’horlogerie avait aussi un autre projet: celui d’acquérir une montre bracelet à quartz.
Encore aujourd’hui, de temps à autre, je la porte avec tendresse, rempli d’une certaine nostalgie de cette époque
Ainsi, me suis-je offert cette Longines. C’était un prix exorbitant pour moi à l’époque. Je me souviens avoir mangé des cervelas pendant un mois afin de digérer cet achat réalisé avec mon modeste salaire. Fauché, mais heureux! Je portais une merveille de précision à mon poignet! Qui plus est, une pièce avec une esthétique particulièrement réussie: forme octogonale, cadran noir.
Début des années 1990, Omega
Verbier, appartement de vacances, un samedi matin, mon épouse et moi: souvenir intact, comme si c’était hier! Ça sonne à la porte, ma femme ouvre, elle pousse cri de joie en accueillant une dame entre deux âges. Un peu forte, très souriante, c’est sa cousine d’Amiens, elle ne l’a pas vue depuis au moins 20 ans! Et voici que cette «chère Elisabeth» débarque sans prévenir, pour nous faire la surprise. Elle me dit «Appelle-moi Lili!» Elle me paraît immédiatement fort sympathique. Lorsqu’elle enlève son manteau, je remarque la montre en or d’homme qu’elle porte au poignet: une Omega des années 1960 environ, avec une forme de «bulle» et un bracelet tressé en or. Intrigué, je n’ose toutefois pas la questionner, je viens à peine de faire sa connaissance. Lili reste avec nous à la montagne, une semaine durant. Elle est très conviviale, bavarde.

Ma femme est ravie de ces retrouvailles avec sa cousine et de tous ces souvenirs d’adolescence retrouvés. Au moment du départ, Lili me fait la bise et enlève son Omega: «J’ai remarqué que tu admirais cette ancienne montre de mon père, je te l’offre, prends bien soin d’elle». Je ne m’y attendais pas du tout, je suis stupéfait, très reconnaissant, un tel cadeau me réjouit. Lili est partie, comme elle était arrivée, discrètement et en souriant. Nous n’avons plus jamais eu de ses nouvelles malgré nos efforts pour la recontacter. Est-elle retournée en Algérie, le pays natal de son père? Nous n’en saurons jamais rien.