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Expresso avec: Raphaël Broye, patron de Panatere

Temps de lecture : 5 minutes

«Notre pari c’est que l’hyper-mondialisation va laisser la place à la régionalisation» explique ce ‘possibiliste’ qui entend produire dans le Jura, sans dommage pour l’environnement, un acier 100% recyclé. Questions cash, non esquivées, c’est le principe de cette interview.

Interview Joël A. Grandjean, Rédacteur en chef de JSH® Magazine & Swiss Watch Passport
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L’entretien se déroule sur une terrasse face au Lac de Neuchâtel. Il y a les eaux du port, si près depuis la terrasse du Beau-Rivage. Ce Jurassien d’adoption originaire de Nuvilly, un village fribourgeois vers Estavayer-le-Lac, presque en face, évoque alors les images de son implication à la tête de Just For Smiles, une Fondation qui offre à des handicapés le bonheur de s’éclater à bord d’un voilier. Du pur bonheur! L’homme semble habité par des valeurs humaines.

JAG: Des déchets qui valent de l’or, un ou plusieurs fours solaires dans le Jura… N’êtes vous pas un doux rêveur?

Raphaël Broye: Dans mon agenda des 100 choses à faire avant de mourir, hormis le pèlerinage de Compostelle, la compréhension de la peinture abstraite…., il y a la priorité de laisser une trace pour la génération suivante. Sortir de ma zone de confort, faire autrement… Tout de même, il nous aura fallu 6 ans et d’abondantes transpirations pour rendre le concept opérationnel et pour le faire valider par le marché.

Faire autrement alors que tout a été inventé?

C’est une première mondiale qui va révolutionner durablement notre façon de faire. Le réseau de recyclage et de tri des copeaux étant opérationnels, les essais de laboratoires validés, nous attendons le premier four solaire pour juillet 2022. Déjà, cela nous a permis d’atteindre de nombreux buts avec l’aide de l’EPFL, du CNRS, des HES ou des milieux privés. Ces docteurs, ingénieurs, experts en métallurgie, physique des matériaux, énergie solaire, météorologie et recyclage sont devenus une équipe de «possibilistes» passionnés.

De quoi s’agit-il exactement?

Dès que nous aurons produit notre premier lingot sur notre propre four solaire avec les déchets des entreprises de la région, alors nous pourrons dire que le rêve est devenu réalité. Nous aurons créé un nouveau modèle local de production en économie circulaire.

Opportunisme ou conviction? Comment devient-on missionnaire du 100% recyclable?

Soyons honnête, Panatere s’est lancée dans ce processus de recyclage et de production locale parce que dans les faits, je n’étais pas satisfait de la qualité des aciers que nous usinions: soufflures, défauts de structure, et souvent au final, des finitions gâchées. Cette nécessité d’acquérir la maîtrise globale de nos aciers est donc d’abord née d’un problème de qualité. Et puis notre société devait se réinventer pour créer un avantage concurrentiel face à ses concurrents «private labels» et boîtiers.

Faire un geste concret pour la planète avec un projet exemplaire. Il s’agit d’une première mondiale qui va révolutionner durablement notre façon de faire.

A Saignelégier dans le Jura suisse, la fabrique Panatere acquiert la maîtrise globale de ses aciers

Sûr que ça va coûter plus cher! L’écologie n’est-elle pas un sport de riche?

Pour la petite histoire, l’augmentation mondiale du prix des matières premières nous a donné un sacré coup de pouce: à l’heure où je vous parle, nous offrons de meilleurs prix grâce à nos stocks constitués pendant ces deux dernières années. Certes, industriellement il nous a fallu passer par des mini-coulées en laboratoire qui revenaient à plus de 20’000 francs suisses le kilo! Mais nous avons progressivement augmenté les quantités par coulée pour ramener le prix de notre acier au niveau du marché.

Comment convaincre vos concurrents de vous fournir leurs copeaux?

Grâce à Precycling, la société d’Alexandre Haussener, qui a investi beaucoup de temps pour mettre en place un réseau de collecteurs et un système sécurisé de stockage. Les fournisseurs de copeaux ont été très réceptifs aux valeurs véhiculées par notre projet et une quarantaine d’entités nous a volontiers soutenus.

Vous semblez avancer en «open source». Ne risquez-vous pas de vous faire doubler?

Evidemment, d’autres industriels vont aussi devoir sécuriser leurs approvisionnements en matière première et en produits semi-finis. Notre pari c’est que l’hyper-mondialisation va laisser la place à la régionalisation. Nous déposons des brevets pour certains développements très spécifiques car nous attendons un retour sur investissement. Pour le reste, notre savoir-faire sera notre avance concurrentielle puisque nous avons choisi d’ouvrir la voie en pionnier.

En même temps, vous avez besoin de tous?

Ce projet de four solaire a suscité des intérêts de toute part. Notre priorité est d’en maîtriser parfaitement le fonctionnement et pour cela, de le faire avec nos propres deniers. Pour garantir sa pérennité, nous étudions les scénarios d’une coopérative ou d’une Fondation reconnue d’utilité publique.

Fabrique Panatere SA à Saignelégier

Recycler plutôt que de puiser dans les sous-sols? Combien de fois?

Les experts s’accordent à dire que l’acier peut être recyclé à l’infini. Pour ce qui est du recyclage du recyclage, nous avons testé 8 coulées successives 100 % recyclées sans pertes de performances. La Suisse importe plus de 140’000 tonnes d’acier inox chaque année. En 2022-2023, nous traiterons 200 tonnes en recyclé-solaire. À l’échelle du monde, le potentiel de recyclage reste donc intact et si on part du principe que les fournisseurs trient de mieux en mieux leurs nuances d’acier, les volumes disponibles ne peuvent qu’augmenter. Prenez l’exemple du recyclage du papier et du carton: leur tri sélectif a fortement réduit le contenu de nos sacs poubelles.

L’économie circulaire, le circuit court, les bons produits, un travail près de chez soi, une famille, du plaisir dans son quotidien.

Quels sont les freins et les ennemis de votre projet?

Il y a ceux qui pensent que projet zéro carbone rime obligatoirement avec greenwashing. Il y a ceux qui sont dans le registre des croyances, avec autant de références qu’il y a de perceptions personnelles. C’est le domaine de l’anti-technique, de l’émotion, c’est le plus difficile. Or qui dit nouveauté dit analyse de risques, tests, mode de preuves, mise en situations, accréditations, certifications, normalisation.

Avez-vous tout de même quelques alliés?

En plus de tous les acteurs impliqués, pour ce qui est des institutions, nous avons pu obtenir de précieux soutiens de la Confédération et deux préavis cantonaux positifs.

Et pour les rationnels sceptiques, le missionnaire a-t-il une recette?

C’est un peu comme une recette de cuisine: amener la performance au niveau d’exigence des clients, démontrer la réduction de 165 fois de l’empreinte carbone, mélanger le tout avec des processus revisités, saupoudrer régulièrement de validations par des auditeurs externes, ajouter des expertises, goûter et ajuster avec quelques certificats supplémentaires, et voilà, c’est prêt, vous pouvez servir.

Liselotte Thuring, cheffe de projet chez Panatere explique le concept d’acier 100% recyclé via un four solaire au micro du journaliste Alexandre Bochatay, dans l’émission Couleurs Locales de la RTS (la télévision nationale suisse).

Et vous pensez les «convertir» de cette façon?

Je leur dis, pour continuer avec la métaphore culinaire: «Il ne faut plus s’attarder sur les innombrables qualités d’une poêle à frire». Il faut sentir les odeurs de sous-bois, montrer cette magnifique poêlée de champignons, faire entendre le grillé du beurre frais. Sans parler de cette sensation unique de les avoir ramassés ce matin dans la forêt voisine.

Un seul four solaire ou plusieurs? «Les fours solaires à concentration ancienne génération se voulaient emblématiques et porteurs de transferts de technologies. Panatere a retenu un design nomade, très compact qui pourra se déployer selon des utilisations bien précises. Il ne dépassera pas 4.60 mètres de haut pour autant que ses fondations puissent être enterrées», explique Raphaël Broye.

Un four solaire? Questions pratiques. «Les fumées seront récupérées afin d’éviter les odeurs et le rejet de toute forme de particules. Le niveau sonore de fonctionnement se limite au compresseur pneumatique utilisé pour déplacer et orienter les réflecteurs. Il n’y aura pas d’éblouissement possible car ce four solaire concentre ses rayonnements uniquement sur le foyer. Seuls deux allers et retours hebdomadaires seront nécessaires par camion pour alimenter le four solaire et distribuer les produits finis.» Et d’évoquer même des véhicules motorisés à l’hydrogène, histoire d’être un soupçon jusqu’au-boutiste avec les valeurs carbone. Quant à l’impact visuel dans le paysage? «Nous choisirons un emplacement en conséquence. Le four solaire représente en volume deux trains routiers, l’impact visuel est donc très limité», explique celui qui, c’est certain, s’apprête à «suivre scrupuleusement les procédures de demande d’autorisations et de mises à l’enquête» tout en ne désespérant par de trouver une commune enthousiaste à l’idée de jouer les pionnières… Il est très possible que l’esprit frondeur qui fait parfois la réputation de ces terroirs indépendants lui donne raison!

Déjà qu’il y a des anti-éoliennes, comment Raphaël Broye compte s’y prendre avec les inévitables opposants au four solaire, par-delà le discours convenu qui consiste à souligner les exceptionnelles opportunités pour la région?

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