De l’Amérique du Nord, Caraïbes incluses, il connaît tous les acteurs, toutes les particularités et même, depuis le guidon de sa moto, la plupart des chemins de traverse. Ses dernières conquêtes? SwissKubik et OneOf!
Propos recueillis par Joël A. Grandjean, rédacteur en chef JSH® Magazine (Journal Suisse d’Horlogerie – suivre sur Instagram)
Cet homme-là est comme New York, il ne dort jamais. Il jongle avec les fuseaux horaires de son vaste territoire commercial autant qu’avec les habitudes de l’horlogerie suisse dont il me révèle régulièrement les secrets de proximité, les infos du moment.
Devenir distributeur, un pari à contre-courant
Nos premières rencontres? Directeur de la boutique Piaget, il officiait à la Rue du Rhône à Genève. Ensuite, il a accédé au poste de Directeur du marché suisse puis de Piaget Japon. Enfin, naturalisé Américain en 1991, lors de ses études, il se pose aux States, avec femme et enfants. De la Cité de Calvin, il conserve toujours les réflexes des bonnes adresses et des recoins prisés. Comme par exemple ce restaurant de l’Âge d’Or, la plus ancienne pizzeria de Suisse, dont il me fait découvrir le décor inchangé depuis son installation à la Rue Cornavin en 1961. Pourtant voisin, je passais devant sans y prêter attention, n’imaginant pas qu’elle abriterait le QG de nos helvétiques rencontres.
Alors que la plupart des grandes marques horlogères suisses décident de faire l’économie de leurs distributeurs, préférant ouvrir des succursales ou s’adresser directement aux détaillants, voire à des agents aussi nombreux qu’improbables, Alexis Sarkissian crée Totally Worth It en 2004. En fait, c’est son épouse – qui n’est jamais loin – qui lui en souffle le nom et le logo. La différence? Un distributeur assume le risque financier, il paie comptant, il achète en mouillant sa chemise.
Connaître les gens, s’y intéresser
Tel est son credo auquel s’ajoute une passion toujours intacte pour la belle horlogerie et, accessoirement, pour tout ce qui peut titiller un gentleman driver raffiné: collection de stylos, motos vintages ainsi que le parfait manuel du consommateur carpe diem. D’ailleurs, il cartonne en ce moment avec les remontoirs SwissKubik. Il conçoit même, avant les fêtes 2020, un de ces cubes cultes entièrement recouvert de véritable feuille d’or. Série réservée US! Il vient aussi de s’enticher pour les OneOf, ces accessoires horlogers qui permettent de mesurer la précision d’une montre avec un téléphone portable ou via une station plus sophistiquée installée dans un point de vente en quête d’expérience client.
J’ai pour usage de lui téléphoner avant chaque salon, car il peut m’indiquer au nombre près le nombre d’Américains qui prévoient faire le déplacement. Il les connaît si bien qu’il peut aussi quantifier en nombre de jours voire de semaines, leurs moindres habitudes de paiement. Il reste toujours mon précieux indicateur de tendance.
Alexis Sarkissian, c’était quand la première fois?
J’ai appris à lire l’heure en enfantine à l’école Marie Thérèse à Genève vers 5 ou 6 ans.
Etes-vous toujours à l’heure?
Presque toujours avec les clients et les amis. Toujours avec mes enfants et ma femme!
Quel est le pire retard dont vous vous souvenez?
Le premier rendez-vous à l’Uni en Pennsylvanie en janvier 1986 avec celle qui est devenue ma femme. Par -20° dehors, je l’attendais chaudement dans ma Jeep durant 30 min au mauvais endroit, en pestant de son retard, pendant qu’elle était sous 1 mètre de neige fraîche avec une jupette. Elle m’a engueulé et après ça, plus jamais de retard!
Existe-t-il un retard ou une avance qui vous a permis d’échapper au pire?
Oui, à un millième de seconde près, sur une autoroute à moto à Tokyo, j’allais être réduit en poussière. La vie ne tient parfois pas à grand-chose.
Existe-t-il un retard ou une avance qui vous a permis de vivre le meilleur?
Mon entrée dans l’horlogerie s’est faite grâce à un retard à mon 4e interview chez Philip Morris à Lausanne. J’ai eu un job le jour même chez Piaget et j’y suis resté 15 ans. Imaginez que je vende des clopes au lieu des plus belles pièces joaillières du monde…
Quel fut votre jour le plus long?
L’attente d’un vol pour Hong Kong à l’aéroport de Calcutta. Cinq heures m’ont paru comme cinquante, lorsque bronzé, ils me prenaient pour un NRI (Non-Resident Indian) avec qui tout le monde engageait la conversation. Résultat des courses, j’ai eu 89 nouveaux amis. Jolly Good time!
Hormis un garde-temps, quel est le design que vous considérez comme le plus intemporel?
Une vieille Harley-Davidson Heritage Springer que ma femme m’a offerte pour mes 50 ans. Je la regarde en frémissant de joie en hiver et je me balade fièrement avec le reste de l’année.
Indiquez-nous la longitude et la latitude de votre lieu de naissance…
Téhéran, Iran: il y a encore de la longitude mais ne cherchez pas, car depuis un moment il n’y a plus de latitude! (Ndrl: 35°41’39 N Longitude, 51°25’17 E Latitude)
Citez-moi l’objet personnel que vous souhaiteriez soustraire à l’emprise du temps!
Je n’ai plus vraiment d’attachement aux objets depuis que j’ai eu trois enfants. Cependant, j’adore pourtant mon petit canif en turquoise qui ne me quitte pas sauf quand je prends l’avion.
Quel est le type de «chronophage» que vous redoutez, ceux qui ‘mangent’ votre temps?
Joker. J’en ai plusieurs et je ne veux froisser personne.
Si le temps vous était conté, livre, proverbe, citation…
«Time is money» disent les Américains, alors que pour les Européens «Money is time». En Suisse-Américain, j’oscille entre les deux: «Money is money and time is time», je ne mélange pas!
Un proverbe du sud dit «Vous avez l’heure, nous avons le temps!»…
Etrangement ça me fait penser à un refrain d’Emmenez-Moi d’Aznavour: «Emmenez-moi au bout de la terre. Emmenez-moi au pays des merveilles. Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil». On a fait un bon choix en famille en 2020 d’aller nous réfugier au soleil du sud des US durant la période du Covid-19. J’ai honte de le dire au vu du malheur qui nous entoure tous, mais on a passé cinq mois extraordinaires en famille.
Quel est le livre que vous avez mis le plus de temps à lire ou que vous n’avez jamais fini?
« Principles of Financial Accounting« .
Votre premier souvenir se rapportant à une durée, de nature positive ou négative?
Grandissant, je passais presque toutes mes vacances en camp à Villars. Les samedis, j’attendais impatiemment mes parents qui arrivaient pour me couvrir de cadeaux ainsi que mes copains.
Quels sont vos moments qui ne devraient jamais s’arrêter?
Les jours fériés, les samedis, les dimanches, les anniversaires de mes enfants et tous les 25 décembre quand les enfants découvrent leurs cadeaux.
S’il vous arrive de pleurer, quelle est la fois où vous pensiez ne jamais pouvoir vous arrêter?
A la mort de mon père en 1974, je ne me suis d’ailleurs jamais arrêté.
Quelle différence faîtes-vous entre temps et éternité?
« Joker! Je n’ai pas le temps d’y répondre.
Il me faudrait une éternité! »
Votre première montre?
Une Breitling qui n’a jamais marché des années 70 offerte par ma maman et achetée chez Bader à Genève. J’ai fini par me lasser de la faire réparer.
Si vous possédez plusieurs montres, quels rôles jouent-elles dans votre existence?
J’en ai beaucoup, environ une trentaine et elles marquent souvent des moments importants lorsqu’elles m’ont été offertes, achetées ou ensuite données à mes enfants.
Celle que vous aimeriez avoir le plus, hormis la marque pour laquelle vous travaillez
Joker! Je suis gâté, voire pourri, car je les ai toutes.
La montre d’une des marques que vous distribuez et dont vous êtes le plus fier, et pourquoi?
J’adore ma Ressence Type 3. Chaque fois que je la porte, on me fait des remarques et ça m’ouvre la porte pour des discussions plutôt sympas.
Si, privé d’indicateur horaire, vous deviez planter un objet perso dans le sol pour qu’il vous donne l’heure à la manière d’un cadran solaire, quel serait-il?
Le canif que j’ai sur moi. J’en ai toujours un car j’adore bricoler.