La question revient régulièrement, elle est cyclique! Est-il judicieux d’exposer? A l’heure où les décisions se prennent, tant pour les salons de marques de mars 2025 que pour l’EPHJ des 3 au 6 juin à Palexpo, il est délicieux de relire cette injonction parue dans… le Journal Suisse d’Horlogerie et de Bijouterie de février 1929!
Joël A. Grandjean, rédacteur en chef JSH Magazine & Swiss-Watch-Passport.ch
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L’auteur de l’article paru dans JSH début 1929, en pleine crise de l’après 1ère Guerre mondiale, est Marius Fallet (1876-1957). Selon le « Dictionnaire Historique Suisse, » il est né en 1876, la même année que le Journal Suisse d’horlogerie JSH. Il fut dès 1927 journaliste, publiciste et traducteur indépendant, après avoir accédé à la Direction de l’instruction publique à Berne et avoir obtenu en 1917 son titre de Docteur en sciences économiques.
Auteur de nombreux ouvrages et articles, notamment dans le journal suisse d’horlogerie et de bijouterie JSH, il prit par ailleurs une part active comme expert à la réorganisation de l’industrie horlogère, sur l’histoire et le développement. Dans l’article retrouvé que le Swiss Watch Passport reproduit ci-dessous, Marius Fallet s’interroge sur le bien-fondé d’exposer: à son époque, la seule option possible était Bâle et sa Foire, la Munster Messe devenue plus tard Baselworld.
Question boomerang
Décidément, cette question revient comme un boomerang au fil des époques, souvent durant les périodes de crise. Elle a taraudé encore récemment les catastrophistes covidiens qui, bluffés par la pseudo efficacité des froides agapes virtuelles à la sauce zoom, teams et autres systèmes de vidéo conférence, en ont remis une couche: est-ce vraiment nécessaire d’exposer, n’est-ce pas obsolète que de tenir salon?
Le sujet revient par temps de crise, il est criant d’actualité à l’heure où les cotraitants, les indépendants, ainsi que quelques irréductibles indépendantistes, hésitent à tenir salon
96 ans après cet article ou comme le démontre l’édito dans JSH d’un conseiller national en 1941, nous sommes en pleine 2ème guerre mondiale, l’évidence de la vision de Marius Fallet, son impact déterminé sur le secteur est sans appel. Son injonction, quelle que soit la conjoncture, s’avère revigorante et incitatrice.
Albert Rais, Conseiller national, 1941: « Des hommes de courage et de confiance en l’avenir ont inauguré il y a vingt-cinq ans, la Foire de Bâle en pleine guerre mondiale ».
Faut-il participer à la Foire de Bâle?
Faut-il participer à la Foire de Bàle? Telle est la question que se posent chaque année de nombreux industriels et négociants. Tout particulièrement dans l’industrie horlogère.
Par Marius Fallet, JSH N°02, février 1929
Les uns répondent affirmativement, sans hésiter un instant. Mais beaucoup sont indécis. D’autres encore ont conclu par la négative. Peut-être en est-il même qui n’ont jamais envisagé la possibilité d’une participation. A quoi bon faire de la publicité et se mettre en frais?, pensent certainement le plus grand nombre.
Pourquoi les foires eurent-elles autrefois tant de vogue? Pourquoi furent-elles le rendez-vous de négociants de toute catégorie et de tous pays?
Erreur d’optique et de calcul. Aux hésitants, à tous ceux qui sont réfractaires à l’idée d une participation, je voudrais présenter quelques arguments qui les feront certainement réfléchir
Serait-ce exclusivement, parce que les moyens de locomotion et de transport modernes étaient inconnus alors? Grave erreur. Serait-ce surtout parce que la grande industrie et le grand négoce contemporains n’existaient pas? Au contraire, pas d’industrie, pas de commerce, pas de foires.
Au beau temps des foires internationales, la banque et les monnaies aussi jouèrent leur rôle. A y regarder de près, l’évolution moderne de l’industrie et du commerce, le développement contemporain des moyens de locomotion et de transport ne sont que pour une part dans le délaissement des foires d’autrefois si utiles et si prospères. Leur abandon est dû surtout au développement des économies nationales, qui se séparèrent les unes des autres. Chacune chercha à se suffire à elle-même ou encore à supplanter les autres. Dès lors, les foires cessèrent d’exercer leur grande attraction, parce qu’elles ne pouvaient plus remplir intégralement leur rôle.
On enterra même ce qu’elles avaient de vivant et de durable
Or, les temps ont changé depuis 1914 (ndlr, le début de la 1ère guerre mondiale). Les relations nationales et internationales sont entrées dans une phase nouvelle. Une des preuves eu est précisément dans la restauration des foires d’autrefois: foires régionales, nationales et internationales. Les prétendues mortes sont plus vivantes que jamais, en sorte que l’industrie et le commerce ont plutôt l’embarras du choix. C’est que le temps n’a pas réussi à détruire ni à ensevelir ce que les foires ont toujours possédé de forces vives, d’ampleur et de succès économiques de toute sorte.
Mais pourquoi la plupart de nos industriels hésitent-ils à participer à la Foire? Pourquoi d’autres craignent-ils de continuer leur participation?
Est-ce parce celle-ci exige un effort pour lequel plus grand nombre des industriels e1 commerçants n’esl pas préparé?
Evidemment, les coutumes commerciales auxquelles nous sommes habitués ne sont pas celles de la foire. Cette dernière a ses exigences et c’est tout un apprentissage à faire. Mais cette science, c’est précisément la pratique des foires qui doit nous l’apprendre. La vie industrielle et commerciale n’est d’ailleurs qu’un seul et conlinuel apprentissage. Dans ce domaine également, il faut avoir acquis une certaine maîtrise, qui est la meilleure garante des succès.
Pour que la foire partielle horlogère dans l’ensemble de la grande foire de Bâle fasse bonne figure et ne laisse pas une impression de parent pauvre, il lui faut revêtir une certaine richesse et avoir une certaine abondance. La foire horlogère doit, partant, avoir de l’ampleur, ce qui suppose une participation forte et nombreuse. Réduite à la portion congrue, toute participation, si bien organisée soit-elle, aura toujours un effet chiche el par conséquent sans résultat satisfaisant.
Je songe ici au souvenir inoubliable que laissèrent les collections horlogères à l’Exposition nationale de 1914. Il va sans dire que l’industrie horlogère pas plus que toute autre ne saurait faire chaque année semblable effort. Cependant, il est des possibilités dans un cadre plus restreint qui ne manquent ni de force ni d’ampleur. Nombreuses sont dans l’industrie horlogère les fabriques qui ont des intérêts communs et travaillent ensemble, parce qu’elles se complètent l’une et l’autre. Ces maisons sont bien faites pour participer en commun à la foire de Bâle.
De leur côté, nos centres horlogers pourraient fort bien organiser des participations collectives locales. Au lieu de faire un gros effort tous les dix ou tous les vingt-cinq ans, ils se concerteraient chaque année et leurs initiatives, leurs actions énergiques répétées seraient certainement d’autant plus fructueuses.
Une foire organisée comme celle de Bâle crée une ambiance et des liens favorables aux transactions honnêtes et raisonnables, pour peu que le participant y mette aussi du sien.
Car il s’agit, en effet d’un effort double à la fois collectif et individuel
{Conclusion}
Il importe donc de les bien combiner pour que les moissons lèvent.
Les semences parcimonieuses ne servent de rien. Il faut donc faire confiance à la Foire de Bâle, y semer une, deux, trois fois avant de récolter beaucoup et récolter toujours. C’est une institution qui mérite toute l’attention des milieux horlogers.