Je m’appelle Amandine, j’ai 12 ans. Passionnée par l’horlogerie depuis l’âge de 7 ans, quand on me demande quel est le métier que je veux faire, je réponds «horlogère-designer chez Bulgari.» En attendant, j’interview des personnalités du secteur.

Par Amandine, la plus jeune chroniqueuse du Swiss Watch Paspport
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Alors on attaque? On n’est pas là pour dormir! » lance Monsieur Bennahmias en m’accueillant dans son bureau.

Euh oui… alors qui êtes-vous au bureau?

«Monsieur 100’000 volts.» J’enchaîne des meetings dans tous les sens, des plus simples aux plus compliqués. Je saute du coq à l’âne, de la recherche et développement, au design de montre, au juridique, à la finance, au sponsoring… ça n’arrête pas! Les journées sont bien remplies. Je ne dors pas beaucoup la nuit, de ce fait, je me réveille à 4h du matin et je commence à travailler.

Et dans la vraie vie?

La même chose, «Monsieur 100’000 volts»… Mais je commence à apprendre à me détendre un petit peu. À me calmer… J’ai 58 ans maintenant donc il faut que je me repose. Je n’ai plus l’énergie que j’avais à trente ans… Les gens qui ne me connaissent pas pensent que je suis compliqué à vivre. Tu peux demander à ma partenaire de choc. Elle peut confirmer que je suis en fait plutôt très facile à vivre.

Quel souvenir avez-vous… as-tu de ta première montre? Est-ce que c’était cette Breitling?

Absolument pas! Ma première montre c’était une Rolex et je l’ai gagnée lors d’un pari contre un très bon joueur de golf. C’était l’un des meilleurs joueurs de golf français que j’ai battu en compétition et on avait parié sa montre. Donc j’ai pu la lui piquer (rires). Ma deuxième expérience, je suis obligé de la mentionner. J’étais un fou furieux de Swatch. J’ai toujours adoré cette marque. Je l’adore encore aujourd’hui. J’étais d’ailleurs à un moment l’un des plus grands collectionneurs de Swatch et je leur ai vendu toute ma collection en 1996.

Quelle montre a aujourd’hui le plus de valeur sentimentale à tes yeux?

(Hésitation) Pas une en particulier car j’ai une belle collection… Forcément, après 29 ans chez Audemars Piguet! Si je devais en donner une seule, je dirais le quantième perpétuel Royal Oak acier squelette, N°1. Elle m’a été offerte par mon patron de l’époque parce que j’en avais vendu entre 15 et 18, sur une série limitée de 25 pièces. Du coup il m’a dit: «Tu aimes vraiment cette montre, il faut que tu en aies une.» Et il m’a donné l’exemplaire N°1.

Wow. D’ailleurs, le premier quantième perpétuel que j’ai vu était une Royal Oak je crois…

C’est bien. C’est un bon début ça.

Est-ce que tu fais des montres pour les jeunes?

Définis «jeune», c’est quel âge?

Pas mon âge (Ndlr. 12 ans) parce qu’à mon âge on n’achète pas encore des Audemars Piguet. Mais quelqu’un qui aurait l’âge de commencer des études ou d’économiser vraiment pour s’offrir une belle montre.

Alors on ne fait pas des montres POUR les jeunes. Mais ce qu’on voit depuis des années, c’est qu’on a rajeuni la marque: aujourd’hui beaucoup de jeunes sont en fait ceux qui amènent les parents chez Audemars Piguet. Donc on vend des montres à des gens qui ont 17 ans, 18 ans… même 15 ans! Donc si à Noël tu demandes à ton papa de te mettre une Audemars Piguet sous le sapin, faudra négocier.

Bon j’ai déjà essayé de lui troquer mon téléphone contre une Philippe Dufour mais ça n’a pas marché. Qu’est-ce que tu aurais envie de dire à un jeune de 15 ans pour qu’il s’intéresse plus à l’horlogerie mécanique qu’à son Apple Watch?

Viens nous voir ici en Suisse! Viens voir ce qu’on fait! Viens voir comment on travaille! D’ailleurs regarde toi-même. Tu adores mon bureau. Ce n’est pas le bureau traditionnel d’un patron d’horlogerie. Regarde, il n’y a même pas une montre en photo. Je suis entouré de plein de trucs sympas et chaque objet ici a une histoire. C’est l’esprit de la marque. Je dis toujours «Audemars Piguet est une marque sérieuse et qui ne se prend pas au sérieux».

Donc, à tous ces jeunes-là, je leur dirais «Venez nous voir.»

Et quels sont les atouts de la marque pour le séduire?

Justement, ce côté, «on ne se prend pas au sérieux.» Il y a aussi tous les partenariats qu’on a aujourd’hui dans le monde de la musique. Ça aide, dans le monde du sport, du spectacle. On a beaucoup de gens très connus qui portent nos montres et qui parlent beaucoup aux jeunes.

On parle beaucoup de durabilité. Qu’est-ce que ça signifie pour toi?

Durabilité de quoi? Dans le sens de l’environnement ou dans le sens de «on est là depuis 1875 et va être là encore en 4075»

Justement qu’est-ce que ça signifie pour toi? A quoi tu penses quand je te dis durabilité?

D’abord à la longévité de cette société. Et la mission reçue du conseil d’administration… qui sont des familles, il y a des Audemars et des Piguet qui nous donnent les consignes pour le futur et nous disent qu’ils veulent être là pour les 200 prochaines années. C’est la première chose à laquelle je pense. Ensuite, il y a la durabilité environnementale. Là, c’est un sujet complet, global, sur lequel il y a un énorme travail fait depuis des années et à continuer. On a encore beaucoup de boulot pour s’assurer que quand on laissera la planète à nos enfants, nous les parents, on la transmettra dans le meilleur état possible. D’ailleurs tu vois le petit personnage sur le bord de la fenêtre? C’est un adulte qui donne la Terre à un enfant. Ça c’est pour moi une image géniale qui représente ce que je dois faire.

Es-tu plutôt TikTok, Instagram ou LinkedIn?

Rien! Je ne suis sur aucun réseau. Je me cache et je ne les consulte pas. Par contre, pour Audemars Piguet, c’est Instagram en tête aujourd’hui, il y aussi TikTok. Nous sommes sur la majorité des réseaux sociaux. La marque doit y être, moi je n’en ai pas besoin.

Quels conseils tu me donnerais pour pouvoir vivre ma passion et travailler dans l’horlogerie?

Tu signes aujourd’hui un contrat avec moi d’exclusivité sur toute ta vie pendant les 200 prochaines années, d’accord? (rires).

Est-ce que tu aurais quelque chose à ajouter?

J’espère que ce n’est pas la première et la dernière fois qu’on se rencontre. Parce que tu as un super caractère et j’adore la manière dont tu fonctionnes. Je me dis «toi, j’ai envie de te suivre, savoir ce que tu vas faire de ta vie.» Moi je n’ai aucun diplôme. J’étais nul à l’école. Je n’ai même pas le Bac… Je n’aimais pas l’école alors que j’adore apprendre! Je suis un instinctif pur et dur. Alors quand je vois un profil comme toi qui débarque dans mon bureau, je trouve ça génial. Cultive ta curiosité et continue à apprendre sur tout, c’est ça le secret!

Merci, c’est un super compliment.
Est-ce que ça te dit qu’on fasse un selfie tous les deux pour mon album?

Absolument, bien sûr qu’on fait un selfie.

Questions croisées: l’intervieweuse interviewée

François-Henry Bennahmias: J’ai entendu dire, parce que je me suis renseigné sur toi, que tu voulais être horlogère et designer… Mais que tu ne voulais pas travailler chez nous, que tu voulais travailler chez Bulgari. Pourquoi?

Amandine: En fait, le moment où je suis un peu tombée amoureuse des montres, c’était une soirée Bulgari où mon père m’a amenée. Et depuis je me suis dit que je voulais être horlogère designer de montres chez Bulgari et, peut-être, créer ma marque si je le peux après.

Et donc si un jour tu viens à une soirée Audemars Piguet, tu vas me dire que tu veux travailler chez Audemars Piguet? Il faut donc que je t’invite à l’un de nos événements pour que tu changes d’état d’esprit et que tu viennes chez nous?

Euh… je ne sais pas, faut voir. Mais j’aimerais vraiment d’abord travailler chez Bulgari. Et après, s’il y a une nouvelle marque qui se fonde et que je tombe vraiment amoureuse de cette marque… C’est mon choix pour plus tard mais peut-être que dans dix ans, chez Bulgari, les personnes à la direction et au design auront changé et ça ne m’intéressera plus.

Mais comment pourrais-je te convaincre, aujourd’hui, de dire que s’il y a une maison pour laquelle tu vas venir travailler, c’est chez Audemars Piguet?

Hum… je ne sais pas. Moi ce que j’aime bien, c’est les couleurs chez Audemars Piguet. Quand je vois par exemple votre… euh ta Royal Oak qui est bleue, c’est super cool d’avoir un bleu électrique comme ça. Vos montres ont à la fois un style très classique comme le porterait mon père, alors qu’il ne porterait probablement pas un bleu flashy que moi je porterais sans problème.

Tiens, je te fais essayer ma montre…

Wow, elle est trop trop belle. Elle est encore un peu grande mais elle me va bien. C’est maintenant que je pars en courant?

Elle te va bien, mais si tu devais penser ça deux secondes, il va falloir que tu coures très, très vite! Elle te plait? Bon, j’espère que tu as compris qu’à un moment… c’est ici que ça se passe. (rires).