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Verre minéral, le dernier sorcier

Temps de lecture : 3 minutes

Son métier est en danger, le matériau qu’il travaille devient de plus en plus difficile à trouver. A l’heure d’une retraite en perspective, Christian Calas voudrait transmettre son savoir. Les plus grands s’en émeuvent.

Par Emmanuel Alder / Journaliste indépendant JSH Magazine & TàG Press +41
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Les instances muséales et les marques les plus prestigieuses sont en alerte. Les collectionneurs et les maisons de vente aux enchères aussi. Christian Calas est le seul, le dernier, à maîtriser les secrets du verre minéral.

Une page de l’histoire suisse

Si les garde-temps sont passés au verre saphir inrayable, après s’être offert la parenthèse du plexiglas, l’artisanat du verre minéral du début du siècle, le verre blanc, n’a pas le droit de disparaître. Car qui pourra alors remettre en état une pièce historique, remplacer un verre abimé, cassé ou perdu?

L’histoire du verre de montre est étroitement liée aux succès et aux crises de toute l’industrie horlogère. Forcément mouvementée, cette histoire est liée au nom de Tony Vaurillon qui achète «Les Moulins David» en 1898. L’entreprise fabriquait déjà des verres de montre depuis 1855 le long du quai du Seujet à Genève. Au fil des évolutions de l’industrie horlogère, il transforme progressivement ce qui était un atelier d’artisanat en véritable industrie. Son fils reprend les affaires après sa mort, il en fera une Société Anonyme en 1931.

Au début du 20ème siècle, la Fabrique de verres minéraux "Vaurillon" comptait environ une centaine de collaborateurs à Genève, au bord de l'eau. Puis, il y eut le plexiglas avant le verre saphir.

La reprise

Au milieu des années 70, l’arrivée de nou- velles techniques de production, la concurrence et la crise horlogère, sonnent le glas de l’entreprise. Le nom «Vaurillon» se voit sauvé par un ex-employé qui rachète une partie de l’outil de production et des stocks de verres. Durant 25 ans, soit jusqu’en 2006, il continuera d’exercer sous l’enseigne «Atelier Vaurillon.» Puis il passera le flambeau de cet artisanat désormais confidentiel à Christian Calas, cuisinier originaire du Sud-Ouest de la France qui y voit l’occasion d’une reconversion placée sous le signe du changement et de l’indépendance.

Le nouveau venu se forme durant plus d’un an et fait de cet atelier Rue des Maraîchers à Genève un mélange de caverne d’Ali-Baba et d’antre d’alchimiste! Un lieu rempli de chaleur humaine et d’anecdotes. Christian Calas raconte avec fierté et passion ces extraordinaires pièces provisoirement orphelines de leur verre. Son accent ensoleillé décrit ses fours ou encore les diverses meules qui lui permettent de refaçonner les verres brisés, de rectifier les endommagés. S’il exhibe volontiers son chalumeau (photo), il se montre plus réticent au sujet de son fameux «marteau à bomber le verre.»

"Une montre de poche très précieuse et délicate sur le plan mécanique se trouvait sur son établi. Au départ, son client voulait seulement que quelques copies du verre manquant soient envoyées à partir de son stock de fournitures. Puis, deux allers et retours pluls loin et quelques autres verres cassés, la montre complète s'est finalement retrouvée dans l'atelier..."

Patrimoine, opération sauvetage

Christian Calas est aujourd’hui en Suisse le dernier artisan capable de fabriquer sur mesure pratiquement tous les verres de montres dont les collections privées ou les SAV des grandes maisons pourraient avoir besoin. Bien que capable de produire également du Plexiglas ou du verre saphir, son expertise et surtout la demande se concentrent essentiellement sur le verre minéral, du plus minuscule à celui d’une horloge murale.

Être le seul dépositaire d’une telle expertise ne va pas sans une forme de responsabilité. Car ce patrimoine est essentiel à la conservation et la réparation d’objets inestimables. Or, âgé de bientôt 61 ans, Christian Calas sait trop bien qu’une telle transmission concerne aussi les grands noms de l’horlogerie qui constituent la clientèle régulière de l’Atelier Vaurillon. Sans lui, ils se retrouveraient pratiquement privés de toute autre alternative.

Un projet est donc à l’étude: assurer financièrement, sous une forme de mécénat, à la fois l’année et demi nécessaire à la formation d’un repreneur, et également la pérennité financière de l’atelier, lequel garderait sa complète indépendance vis-à-vis de la ou des marques y participant. Une feuille de route qui prévoit aussi le financement de la formation de plusieurs personnes histoire de limiter le risque et de prévenir toute perte de ce savoir-faire irremplaçable.

Savoureuses anecdotes

La valeur parfois stratosphérique des pièces à restaurer, leur fragilité, rendent souvent les horlogers nerveux. Qui hésitent à les déplacer dans son atelier. Alors, c’est ici une boîte vide, voire une simple carrure ou une lunette, qui lui sont adressées, parfois avec la référence de la glace à changer. Souvent accompagné du verre cassé à remplacer. Ça ne suffit pas toujours. Comme c’est le cas lors de ma visite où, sur son établi, se trouve une montre de poche de grande valeur et d’une grande fragilité mécanique. Au départ, son client ne désirait que l’envoi de quelques exemplaires du verre manquant, à sortir de son stock de fournitures. Puis, après deux envois et quelques bris de glace supplémentaires, le garde-temps complet a fini par atterrir à l’atelier. Seul, l’homme de l’art et son expérience sont parvenus à ajuster le nouveau verre à la perfection, tant l’espace infinitésimal entre la glace et la course des aiguilles exigeaient son savoir-faire unique.

Une autre fois, ce sont deux montres ayant appartenu à Enzo Ferrari qui ont débarqué à l’heure et à la minute convenues accompagnées du propriétaire et d’un imposant aréopage d’agents de sécurité. Car les deux fois 1 million de francs suisses dépassaient largement sa couverture d’assurance. Elles sont reparties le jour même, munies de leurs nouveaux verres.

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