Je m’appelle Amandine, j’ai 12 ans. Passionnée par l’horlogerie depuis l’âge de 7 ans, quand on me demande quel est le métier que je veux faire, je réponds «horlogère-designer chez Bulgari.» En attendant, j’interviewe des personnalités du secteur… Aujourd’hui, Edouard Meylan, CEO de H. Moser & Cie.

Par Amandine, la plus jeune chroniqueuse du Swiss Watch Paspport
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Qui êtes-vous au bureau?

Il faut demander à mes collègues! Je pense être un boss assez cool mais qui n’aime pas les surprises! C’est un truc que je déteste, les bonnes comme les mauvaises. J’aime bien savoir ce qui se passe donc je me balade toujours, je pose des questions et ils savent qu’il ne faut pas qu’il y ait trop de surprises. J’aime aussi bien collaborer, j’aime qu’on discute, qu’on brainstorme, que chacun puisse amener sa créativité et qu’on prenne ensuite des décisions ensemble.

Et dans la vraie vie?

Dans la vraie vie, ce n’est pas moi le boss: c’est ma femme et puis mes enfants! Dans la vraie vie, ma famille est très importante. J’ai quatre enfants, donc on passe beaucoup de temps ensemble. On fait beaucoup de ski, de sport ensemble les week-ends. J’essaie vraiment de ne jamais travailler le week-end, à part quand je dois voyager. Dans la vie professionnelle, il y a pas mal de choses qu’on doit faire pour le travail entre les voyages ou les soirs où on finit assez tard. Alors je focalise sur ma famille quand je sors du bureau. Ils critiquent toujours que je suis un peu trop sur mon téléphone, mais j’essaie vraiment d’éviter.

Comment êtes-vous tombé dans l’horlogerie?

Je suis né dans l’horlogerie, j’ai grandi à la Vallée de Joux. Mon père était dans l’horlogerie, les générations avant lui aussi. On parlait de montres à la maison, on allait visiter les manufactures. Mon père a travaillé chez Jaeger, chez Cartier, chez Audemars Piguet. Et donc, d’une certaine manière, j’ai grandi dedans.

Quels souvenirs avez-vous de votre première montre?

J’en ai plusieurs! Mais il me semble que le premier souvenir, c’est quand mon père travaillait chez Jaeger-LeCoultre. Il y avait une journée portes ouvertes, j’étais tout petit car j’arrivais en-dessous de la taille de ma mère. Je me suis même trompé une fois en tirant sur la jupe d’une autre dame… Ce jour-là, je suis entré dans l’atelier où se faisaient les répétitions minutes. J’avais été subjugué. Je reste passionné par les répétitions minutes encore aujourd’hui. C’est en partie à cause de ce moment-là, vers 4 ou 6 ans je ne sais plus exactement…

Quelle est la montre qui a le plus de valeur sentimentale à vos yeux?

C’est peut-être mon deuxième souvenir horloger, c’était ma première montre mécanique reçue de mon père. Malheureusement je l’ai plus. Une magnifique Lemania, un tout petit diamètre avec un cadran bleu. Je l’ai reçue quand j’étais à l’école enfantine ou en première primaire… Je me souviens qu’au début j’étais super déçu parce que tous mes copains avaient des Casio, des montres digitales qui étaient vraiment à la mode. Et moi, j’avais cette montre mécanique. Je la vois encore mais malheureusement je ne sais pas où elle est passée. Je dirais donc que c’est peut-être la montre qui a disparu, celle qui n’existe plus, qui a aujourd’hui le plus de valeur sentimentale. Sinon, j’en ai d’autres. J’ai eu la chance de recevoir des montres quand mon père travaillait dans l’horlogerie.

Et en particulier une en tantale-acier que j’ai reçue pour mes 18 ans ou mon bac, je ne sais plus. C’était la première belle montre que j’ai reçue et je suis tombé amoureux du tantale. Cette année, en 2023, on a lancé une montre en tantale. C’était mon rêve de pouvoir un jour faire une montre en utilisant ce matériau.

Un rêve qui s’est donc réalisé?

Oui, attends, je te la montre, elle est juste là.

Est-ce que vous faites des montres pour les jeunes?

Qu’entends-tu par jeune, parce que toi, tu es très jeune! On fait des montres qui plaisent à une clientèle relativement jeune. Si on considère qu’on s’adresse plutôt à des collectionneurs car nos prix sont relativement élevés, alors on a une clientèle qui est plutôt jeune. Beaucoup de nos clients ont la vingtaine. Il y en a même des plus jeunes. Le plus jeune rencontré avait 16 ans, ou peut-être même pas, et il avait une magnifique Moser. On a une communication digitale assez osée, avec un peu d’humour et qui n’hésite pas à provoquer parfois. Et je pense que ça parle beaucoup à la nouvelle génération, ou plutôt aux nouvelles générations parce qu’il y en a plusieurs.

Que diriez-vous à un jeune de moins de 15 ans pour qu’il s’intéresse à l’horlogerie mécanique plutôt qu’à son Apple Watch?

C’est rigolo, j’ai mon fils qui a 12 ans et qui a toujours eu une Apple Watch! Dernièrement, je lui ai acheté une MoonSwatch: j’ai vu qu’il se passait un truc dans ses yeux, le moment où il a découvert la belle horlogerie! Bon OK, ce n’est pas une montre totalement mécanique, il n’empêche que tout d’un coup il a eu ce déclic, cet intérêt. Il a commencé à regarder sa montre différemment. Certes, il a toujours dit que les Moser étaient les plus belles, mais là, il a découvert quelque chose d’autre. Il faut donc s’intéresser et écouter son cœur. On aime ou on n’aime pas, ce n’est pas une question d’âge, c’est une question d’intérêt. La mécanique, c’est quelque chose qui nous intéresse ou pas; il y a un côté mystérieux, mais aussi un côté très romantique et philosophique derrière. Pour trouver la clé, il faut peut-être simplement regarder une fois à l’intérieur d’une montre, essayer de comprendre comment ça fonctionne et là, souvent, c’est le début d’une grande passion. Qui peut être très dangereuse, parce que ça coûte vite cher! (rires)

Pour trouver la clé, il faut peut-être simplement regarder une fois à l’intérieur d’une montre

Et quels sont les atouts de Moser pour le séduire?

Notre approche disruptive de l’horlogerie, parfois provocatrice: on travaille beaucoup les couleurs, les nouveaux matériaux, on est très digital, on essaie de faire un peu différemment des autres. C’est ce qui explique que beaucoup de jeunes viennent vers nous aujourd’hui en disant «J’ai envie d’une montre classique et élégante mais je ne veux pas une montre qui ressemble à celle de mon père ou de mon grand-père.» Du coup, ils achètent une Moser.

On parle beaucoup de durabilité, qu’est-ce que ça signifie pour vous?

C’est complexe et derrière le mot durabilité il y a beaucoup de choses. Ça commence déjà à la base, avec la manière de sourcer les matériaux, avec notre degré de transparence dans la manière de fabriquer. Chez Moser, on fait tout en Suisse à part les bracelets en cuir qu’on amène d’Italie. On essaie d’être vraiment le plus suisse et transparent possible. Ça se traduit par exemple chez nous par un gros travail sur la blockchain, afin de pouvoir offrir une vraie traçabilité pour un maximum de composants et naturellement pour les matières premières comme le diamant ou l’or. Ça va au-delà du discours marketing! C’est plus le côté éthique qui est intéressant. D’ailleurs, le besoin de travailler de manière durable ne dépend plus forcément de la marque. En tout cas en ce qui nous concerne, ce sont les clients et parfois même les collègues qui poussent. Je suis entouré de jeunes, des gens de 25 ans et moins parmi nos horlogers. Pour eux, travailler au sein d’une marque qui a une certaine conscience ça compte beaucoup. On a la chance d’habiter en Suisse, de travailler dans le luxe et d’avoir vraiment peu de problèmes par rapport à d’autres. Alors si on peut ajouter un peu plus de cette « bonne conscience » à ce qu’on fait, pour eux et pour nous, c’est important.

Vous être plutôt TikTok, Instagram ou LinkedIn?

Plutôt Instagram. TikTok, j’avoue que je ne maîtrise pas encore beaucoup. En fait, j’ai eu la chance de me faire interviewer par d’autres personnes sur TikTok et de voir comment ça peut vite devenir viral. J’ai donc dit à mon équipe qu’il fallait qu’on commence à s’y intéresser. Peut-être qu’on est déjà un peu en retard alors que d’habitude on a la réputation d’être plutôt en avance. LinkedIn, pour moi, reste plus un outil de recrutement et un peu moins de communication. Instagram est très important pour nous en termes de communication. En tout cas, ça a changé la vie de Moser sur les 10 dernières années. Car on y est allé très tôt et on y a été très actif. Ça m’a permis d’entrer en contact avec plein de gens à travers le monde, des personnes que je n’ai jamais rencontrées de visu, mais avec qui j’ai eu des discussions hyper intéressantes.

Quel conseil me donneriez-vous pour pouvoir vivre ma passion et travailler dans l’horlogerie?

Ha! Je crois que tu as déjà la chance d’avoir autour de toi des gens qui s’y connaissent et qui peuvent bien te guider. N’écoute pas trop ce que disent les gens, écoute ton cœur. Si tu aimes l’horlogerie, en plus tu habites en Suisse et tu as déjà un intérêt qui se concrétise à ton très jeune âge, alors tu as toutes les cartes en main pour faire une super carrière. Donc voilà, si c’est vraiment ta passion alors les portes s’ouvriront pour toi.

Un message à faire passer, quelque chose à ajouter ou à annoncer?

Non, je te félicite pour ton initiative. C’est génial de voir des jeunes qui s’intéressent à l’horlogerie. Toi, tu influenceras plein d’autres jeunes et c’est le futur de notre industrie. Et pas seulement pour vendre des montres. Je pense que ce que tu fais peut amener des gens à venir travailler dans l’horlogerie. C’est super important car aujourd’hui c’est plus difficile de trouver des gens qui veulent travailler dans l’horlogerie et qui en ont les compétences que de vendre des montres. Alors merci pour ton initiative.

Aujourd’hui, c’est plus difficile de trouver des gens qui veulent travailler dans l’horlogerie et qui en ont les compétences que de vendre des montres

Merci, ça vous dit un selfie tous les deux?

Avec plaisir, on fait ça où?