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Interview Tekitoi: Thomas Baillod, fondateur de Ba111od

Temps de lecture : 8 minutes
Interview Tekitoi - Thomas Baillod & Amandine (@watch_it_with_amandine)

Je m’appelle Amandine, j’ai 12 ans. Passionnée par l’horlogerie depuis l’âge de 7 ans, quand on me demande quel est le métier que je veux faire, je réponds «horlogère-designer chez Bulgari.» En attendant, j’interview des personnalités du secteur.

Par Amandine, la plus jeune chroniqueuse du Swiss Watch Paspport
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Qui êtes-vous au bureau?

Je suis le collègue de mes collègues. Dans toutes les entreprises où j’ai travaillé, quand je faisais les présentations, je devais dire que c’était mon patron. Puisqu’aujourd’hui je n’arrive plus à tout faire tout seul et que notre succès est celui de toute une équipe, j’ai demandé à tous de dire «nous sommes collègues.» Au bureau, je suis donc Thomas, le collègue de mes collègues, même si pour me taquiner un peu, ils m’appellent de temps en temps «Monsieur Thomas». C’est en souvenir d’un bar où les barmen m’avaient appelé comme ça. Ça me donne un petit air genre bourgeois, ce que je ne suis pas! J’essaye d’être comme je suis dans la vie, c’est-à-dire le reflet de mes valeurs et de ma personnalité. Et j’ai créé une marque dont ces valeurs me correspondent: sociable, ouvert, transparent et respectueux.

Puisqu’aujourd’hui je n’arrive plus à tout faire tout seul et que notre succès est celui de toute une équipe, j’ai demandé à tous de dire que «nous sommes collègues».

Team Ba111od - derrière son fondateur Thomas Baillod, c'est le succès de toute une équipe.
Team Ba111od: derrière son fondateur Thomas Baillod, c'est le succès de toute une équipe.

Super, cette idée de «collègues», je m’en souviendrai plus tard dans ma vie. Dans la vraie vie, qui êtes-vous?

La même chose qu’au bureau. Je suis né à La Chaux-de-Fonds. C’est une ville qui a un héritage un peu prolétaire. C’est-à-dire que ce sont plutôt des gens qui travaillent, pas vraiment des bourgeois. Donc la valeur du travail y est importante. Et j’ai un héritage assez ancré en terres neuchâteloises, mais avec un mix comme toi de différentes cultures. Ma mère est libanaise, ma grand-mère italienne et grecque. J’ai donc toute une consonnance méditerranéenne et une éducation suisse. Sinon, je suis le fier papa de deux petites filles, Cataleya et Salomé. Je suis un papa très aimant, même si je ne suis malheureusement pas très présent parce que je travaille beaucoup.

Comment êtes-vous tombé dans l’horlogerie?

En fait, j’y suis né. Né dans une montre! Mon père était journaliste, patron de presse. Il avait le journal L’Impartial et, à table quand j’étais petit, tous les patrons d’industrie venaient manger à la maison. Les Hayek, les Blum… Ce sont des noms qui ne vont pas forcément te dire quelque chose mais ils ont façonné l’horlogerie telle qu’elle est aujourd’hui. Quand ils venaient à la maison, j’adorais les écouter parce qu’ils parlaient de la vraie industrie horlogère, celle des cuisines et non celle des buffets avec les belles assiettes et les petits bouts de persil. L’horlogerie de ceux qui font les montres. J’ai donc grandi dans une montre, à l’intérieur d’une montre en entendant son tictac.

Photo d'archives d'ateliers horlogers d'autrefois à la Chaux-de-Fonds
Photo d'archives d'ateliers horlogers d'autrefois à la Chaux-de-Fonds

Ils parlaient de la vraie industrie horlogère, celle des cuisines et non celle des buffets avec les belles assiettes et les petits bouts de persil.

Très belle image. Quel souvenir avez-vous de votre première montre?

Une Camel Trophy. Je ne sais pas si la marque existe encore. Un ami m’avait parlé de cette montre et mes parents me l’ont achetée. Elle me fascinait. J’ai passé des heures à la regarder. Elle était à quartz, avec un chrono je crois. Elle était assez petite et assez belle. Mais la montre qui m’a le plus marqué, c’était une Kelek. Une magnifique marque qui a malheureusement disparu aujourd’hui. C’est mon père qui me l’avait offerte. Donc évidemment le lien sentimental qui me lie avec elle n’est plus là juste pour donner l’heure mais me rattache à quelqu’un de spécial.

Sa première montre: un chrono Camel Trophy.
Sa première montre: un chrono Camel Trophy
«Pour aimer du temps, celui qui ne compte pas», l'hommage à son père Gil Baillod gravé sur le tourbillon Ba111od Chapitre 4.1
«Pour aimer du temps, celui qui ne compte pas», l'hommage à son père Gil Baillod gravé sur le tourbillon Ba111od Chapitre 4.1

Ça répond un peu à ma prochaine question: aujourd’hui est-ce la montre qui a le plus de valeur sentimentale à vos yeux?

Oui et non. Parce que l’autre montre sentimentale, c’est celle que j’ai créée et que je porte aujourd’hui. Elle est 100% faite dans le canton de Neuchâtel. Et sur le plan sentimental, je ne sais pas si tu arrives à le voir ici même si tu as de bons yeux…. Attends, je vais te le montrer en zoomant trois fois avec mon téléphone portable: c’est la gravure qui est là sur le barillet, une petite phrase de mon père, «Pour aimer du temps, celui qui ne compte pas.» C’est l’éternité en fait. Mon père n’est plus là aujourd’hui. Il est mort il y a quelques années. Je voulais mettre une de ses phrases sur ma montre, en son honneur. Cet hommage rend ce tourbillon ultra sentimental à mes yeux.

Est-ce que vous faites des montres pour les jeunes?

Non! Par contre, j’ai un scoop. En 2024 oui, et probablement avec toi…!

Ahhhh. Cooooool! Et qu’est-ce que vous auriez envie de dire à un jeune de moins de 15 ans pour qu’il s’intéresse à l’horlogerie mécanique plutôt qu’à son Apple Watch?

Je lui dirais qu’il y a le temps utile et le temps d’aimer. La montre avait une fonction, celle de donner l’heure. En fait, l’Apple Watch remplit très bien cette fonction. J’en ai une et je trouve ça fantastique et ils sont super bons dans la fonctionnalité. Sauf qu’il y a l’heure fonctionnelle d’un côté et l’heure vivante, l’heure qu’on aime, de l’autre. Et pour moi le temps, habillé d’un beau mouvement mécanique, est un temps qu’on aime, pas un temps qu’on compte.

Ma mère taquinait souvent mon père en lui disant «Toi tu as l’heure et moi j’ai le temps»

C’est exactement ça. Et du coup si on peut avoir l’heure à la fois précise et belle alors c’est encore mieux.

Thomas Baillod répondant aux questions d'Amandine lors de Time to Watches 2023
Thomas Baillod répondant aux questions d'Amandine lors de Time to Watches 2023

On l’a compris, votre marque n’est pour l’instant pas pour les tout jeunes. Mais quels seraient ses atouts pour séduire un jeune adulte qui a économisé pour s’offrir une belle montre?

C’est un point très important pour moi et spécifique à ma montre. En fait, ça va peut-être te faire sourire, mais au début je ne voulais pas créer une marque. Ba111od ça s’est fait un peu par erreur parce qu’à la base je voulais surtout démontrer un modèle économique. J’enseigne dans des universités et je voulais démontrer qu’en repensant la manière dont on vend les montres, pas dont on les fabrique mais vraiment dont on les vend, on arrive à récupérer beaucoup de marges. Et ces marges-là, moi, je les redonne aux clients. Du coup, et n’y vois aucune arrogance, tu ne trouves pas sur le marché des montres meilleur marché que la nôtre par rapport à la qualité. Ça n’a bien sûr rien à voir avec la qualité intrinsèque de la montre mais plutôt avec le modèle économique. On arrive à offrir un tourbillon comme celui-ci, qui est produit 100% dans le canton de Neuchâtel, pour 5’400 francs. Tu connais un petit peu le prix des tourbillons en général. Là, normalement, on serait plutôt à 50’000 francs alors qu’on a les mêmes propriétés. Donc ce que je dis à un jeune, c’est qu’on a un modèle économique qui lui permet d’avoir énormément de valeur horlogère Swiss made mais à un prix qu’il peut se permettre.

Du coup, avec nous, il peut se payer la montre et les vacances… plutôt que de devoir choisir entre les deux.

Super argument, montre et vacances ça me plait (rires). On parle aujourd’hui beaucoup de durabilité. Qu’est-ce que ça signifie pour vous?

Pour moi, ce que ça signifie concrètement dans l’industrie, c’est un peu d’hypocrisie. Quasiment personne ne s’y est intéressé pendant des décennies et aujourd’hui c’est devenu très à la mode d’en parler alors que la montre, par elle-même, est déjà quelque chose de très durable. C’est peut-être même l’un des objets les plus durables au monde puisqu’une belle montre, si tu en prends soin, elle peut durer 100 ans. Rien ne dure 100 ans! En plus, ta montre mécanique n’a pas besoin d’énergie puisque c’est toi qui va l’activer. Pour moi, la durabilité, elle est déjà incluse dans le produit.
Ce que je n’ai pas envie de faire, c’est ce qu’on appelle le «Greenwashing.» C’est-à-dire faire beaucoup de bla-bla pour se donner bonne conscience. Les marques vont faire des montres de luxe, très chères, et elles vont les mettre dans un emballage en carton pour dire qu’elles font du «sustainable»… Alors que les gens qui vont les acheter vont prendre des grosses voitures ou un jet… C’est pas très durable. Donc personnellement, je trouve que la durabilité c’est souvent une hypocrisie. Par contre, chez nous, on essaye de travailler en circuits courts pour polluer moins et on essaye de faire des montres uniquement mécaniques, sans piles.

Par rapport aux réseaux sociaux, vous êtes, plutôt Tiktok, Instagram ou LinkedIn?

Totalement LinkedIn! C’est d’ailleurs un peu spécial mais LinkedIn est le réseau sur lequel j’ai lancé ma marque. Beaucoup de marques font appel à des investisseurs, moi je n’avais pas d’argent. Beaucoup de marques vont aussi sur Kickstarter… J’ai démarré sur LinkedIn en faisant quelques posts où je disais «je vais tenter une expérience, qui veut me suivre?» Donc ma marque est née sur LinkedIn et je pense d’ailleurs que c’est la seule marque horlogère suisse à avoir démarré comme ça. C’est un réseau que j’utilise énormément, sur lequel j’ai une grande communauté qui me soutient. Et la plupart des choses que l’on fait passe par LinkedIn. Par exemple en décembre 2022, on avait besoin d’argent pour le cashflow de l’entreprise, pour financer tout le développement. J’ai fait un seul post sur LinkedIn et j’ai quasiment récolté un million. C’est beaucoup. J’ai simplement écrit pour demander qui voulait me prêter de l’argent et j’ai reçu un million. Les gens m’ont envoyé de l’argent sur mon compte en banque sans même me faire signer un contrat. Après je m’intéresse aussi à Instagram. Je regarde beaucoup Tiktok et l’algorithme a bien compris que je m’intéressais à certaines actualités. J’ai étudié l’économie internationale et les relations internationales à l’université et je trouve beaucoup d’informations parfois un peu dissidentes sur Tiktok, qu’on ne trouve généralement pas sur les médias traditionnels. Du coup, j’y consomme pas mal d’infos…

Le profil LinkedIn de Thomas Baillod, plus de 11'000 abonnés
Le profil LinkedIn de Thomas Baillod, plus de 11'000 abonnés

Vous êtes le premier CEO qui me dit qu’il regarde Tiktok et s’y informe. D’habitude, je vois certains CEOs sur Tiktok mais eux ne se voient pas dessus. C’est très intéressant.

C’est trendy et très créatif. Je ne pense pas forcément que ce soit le meilleur réseau pour les marques car c’est un lieu d’expression spontanée. Moi par exemple quand je vois des publicités qui commencent à apparaître sur Tiktok, je ne les regarde pas. Pour moi, elles n’ont rien à faire là. Comme, par exemple, je n’aime pas qu’on m’envoie des messages sur WhatsApp pour me démarcher. Pour moi WhatsApp c’est privé. Donc je ne fais pas du tout de promo pour ma marque sur Tiktok parce que je trouve que ça serait mal venu. Je garde ça comme un lieu d’expression spontanée avec toute la créativité qui va avec. De toute manière, on ne peut pas dire qu’on aime ou qu’on n’aime pas. C’est présent. Vous les jeunes vous êtes sur Tiktok, alors si on a envie de comprendre la prochaine génération, il faut y être.

Quels conseils me donneriez-vous pour vivre ma passion pour l’horlogerie et travailler dans ce domaine?

Quand tu fais les choses par passion, tu ne peux être que juste. Ce que je pourrais te conseiller, peut-être, c’est d’éviter de te faire instrumentaliser. Parce que ce que tu fais c’est brillant, on ressent ta passion et il faut que ça reste original et vrai. Évidemment, avec la visibilité que tu vas avoir, beaucoup de gens vont vouloir t’instrumentaliser. Et ça serait dommage. Il ne faut pas te laisser détourner de qui tu es vraiment. À 12 ans tu as déjà beaucoup d’aplomb, mais tu dois encore grandir, tu as beaucoup à apprendre. Après tu devras choisir ta voie. Soit entrer dans une grande maison, être formée, formatée. C’est là où tu vas apprendre beaucoup de choses… Soit suivre peut-être un chemin un peu moins traditionnel et rentrer dans une petite structure, une startup comme la mienne ou d’autres. Tu y seras probablement plus proche du terrain et des gens qui vont te laisser exprimer toute ta créativité.

C’est un peu tôt pour faire ce choix et t’engager, mais je perçois que tu as beaucoup de créativité et de spontanéité et je trouve que ce serait dommage de l’enfermer dans une boîte trop rigide.

Est-ce que vous auriez un message à faire passer, quelque-chose à ajouter ou annoncer?

On annoncera des nouveautés quasiment chaque mois… Par contre, je n’ai pas de message particulier à faire passer, si ce n’est le même depuis le début: un grand merci à toute ma communauté qui m’a soutenu et qui continue à le faire. Il y a quelque chose de faux dans l’horlogerie où les marques ont tendance à s’autocongratuler et à remercier ses clients et ses distributeurs en oubliant souvent le client final, tout au bout de la table, qu’on ne connait pas et qu’on oublie souvent même si c’est lui qui fait vivre toutes les marques. Moi je ne l’oublie pas et je remercie toute cette communauté qui me soutient, qui me permet de vivre mon rêve et de faire des belles montres qui font rêver mes clients.

Chapter A, une des nouveautés 2023 présentée par Ba111od
Chapter A, une des nouveautés 2023 présentée par Ba111od

Merci beaucoup. Ça vous dit qu’on fasse un selfie pour mon album?

Oui avec plaisir! mais avec quel téléphone?

Un selfie pour l'album #Tekitoi d'Amandine avec Thomas Baillod
Un selfie avec Thomas Baillod pour l'album #Tekitoi d'Amandine

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