Il était une fois, le changement d’heure. En 2017, on parlait d’une « peut-être dernière fois. » Le journaliste de télévision Nicolas Rossé m’avait challengé sur ce thème, en rapport avec les archives du JSH, le Journal Suisse d’Horlogerie. A revoir, un sujet du téléjournal.
Par Joël A. Grandjean / Rédacteur en chef JSH® Magazine, fondé en 1876
Suivre sur Linkedin – Facebook – Insta JSH – Insta SWP – S’abonner à JSH
En 1907 déjà, le plus ancien magazine horloger suisse, le Journal Suisse d’Horlogerie (JSH), évoquait cette noble idée qui consiste à vouloir, grâce à l’avance ou le recul d’une heure, faire des économies d’énergie et ainsi se caler sur la diminution ou l’augmentation de la durée du jour.
Un changement controversé en Suisse et pas seulement
Or donc, le journaliste Nicolas Rossé, pour le compte de la télévision nationale suisse, produisait en 2017 un sujet sur ce qui était peut-être le dernier passage à l’heure d’hiver de l’histoire. Et pas seulement le dernier de l’histoire suisse puisque l’Europe, en 2018 allait 40 ans après son introduction en Suisse en 1981, se pencher sur la vraisemblable inutilité d’une telle mesure, notamment au regard des tracasseries qu’elle engendre. Ce constat, un paysan pétri de bon sens sur les hauts du canton de Vaud en 1981, le relevait déjà avec un brin d’amertume puisque, malgré le «non» du peuple suisse exprimé trois ans auparavant lors des votations sur le sujet, l’introduction de la mesure était passée en force dans tout le pays. «La Suisse ne peut pas se permettre de se trouver et se retrouver isolée en Europe» martelait le Conseiller fédéral neuchâtelois Pierre Aubert dans une apparition télévisée liée à ce vote.
Dans JSH, un article datant de 1907
Sous le titre «La Nouvelle Heure Britannique», le journaliste du Journal Suisse d’Horlogerie JSH consacre en 1907 tout un article sur le pamphlet édité cette année-là à compte d’auteur par un certain William Willet. Dans ce qu’il a intitulé «Waste of Daylight» – le gaspillage de la lumière du jour, ce Britannique expose son concept de changement d’heure afin de gagner en économies d’énergie. Le JSH volume 32 décrit en effet, non sans humour, sur trois pages, cette théorie. En introduction: «Il est convenu que le peuple anglais est de tempérament pratique au plus haut degré.
«Voici donc une idée bien anglaise, car elle aura pour résultat d’augmenter la durée des jours et de retenir le soleil plus longtemps sur l’horizon ce qui n’est pas à dédaigner dans ce pays de brouillards»
On nage en plein cliché. Et de continuer, après avoir en avoir exposé le principe, à expliquer: « Par ce procédé d’une simplicité enfantine, on gagnera, pendant les mois en question, chaque jour 80 minutes de clarté sur les heures de veille et 80 minutes d’obscurité sur celles de repos. De ce fait (…) l’heureux peuple sera chaque année appelé à bénéficier de 210 heures de lumière solaire, compensée par 210 heures de nuit qu’il consacrera au sommeil au lieu de s’éclairer artificiellement ».
Cet article qui n’existe hélas qu’en français, est truculent. Notamment lorsque le journaliste de JSH de l’époque évoque la problématique de cette heure modifiée pour les chemins de fer: «Puis, à l’inverse des actionnaires des compagnies d’éclairage, ceux des compagnies d’assurance contre les accidents de chemin de fer s’en trouveront bien,
car on sait que lorsque les accidents augmentent de 10 ou 20%, les primes, elles, s’élèvent de 20 ou 40%. Et pour les entreprises de pompes funèbres, pour les fabricants de membres artificiels, quelle bonne aubaine.»
Ou encore lorsqu’il écrit, presque fataliste: « …nous craignons fort, même en y consacrant beaucoup de temps, de ne pas arriver à convaincre nos lecteurs de l’ingéniosité du système proposé. Vous verrez en effet qu’en Suisse, où l’on est pas pratique pour un sou, on continuera tout bonnement à modifier, suivant les saisons, pour les écoles, les ateliers et les bureaux, l’heure d’entrée et de sortie des élèves et du personnel ».
Défi lancé aux faiseurs de complications horlogères
Dans la préparation de son sujet pour le journal télévisé du soir d’avant ce qui était peut-être le dernier passage à l’heure d’hiver, Nicolas Rossé, tout Jurassien et curieux d’horlogerie qu’il est, me demande si le JSH, le plus ancien magazine horloger au monde, puisque créé en 1876, avait déjà dans son histoire parlé d’une complication horlogère capable de répondre techniquement à ce recul puis à cette avance de l’heure. Apparemment, le journaliste en 1907 se posait le même genre de questions. « Peut-être aussi quelque chercheur suggérera-t-il une solution encore plus pratique que celle de M. Willet et qui serait fort avantageuse pour notre industrie horlogère: elle consisterait à transformer nos montres, pendules et horloges de façon que, comme autrefois chez les Japonais, elles se règlent autant que possible sur le lever du soleil. (…) Cela ne serait qu’un jeu pour nos habiles constructeurs de complications ».
Etonnamment, plus de 100 ans plus tard, en procédant à mes recherches, c’est sur un forum du disparu site web horlogerie-suisse.com que j’ai trouvé des experts constructeurs débattant de cette éventuelle faisabilité. Un fil de discussion bourré d’idées et même de croquis et d’images animées de synthèse. Par contre, du côté de JSH, aucune trace. Je reste toutefois convaincu qu’un peu plus de temps consacré à cette recherche, ou alors tout simplement un appel aux historiens qui nous lisent, pourrait changer la donne.
Perles historiques et poétiques: cycles menstruels et couchers du soleil
Reste que j’ai découvert, au passage, d’autres perles historiques enfouies dans ce journal qui demeure l’un des plus grands trésors patrimoniaux de l’histoire horlogère suisse. En 1949, un article parle d’une horloge gynocyclique (illustration JSH ci-dessus), une complication à même d’indiquer sur un garde-temps mécanique les cycles menstruels des femmes. Très élégant, très utile on se demande bien pour qui, si l’on en juge les dessins humoristiques de l’époque.
Plus récemment, et cette fois c’est juste ma mémoire qui se ravive, je repense à cette exceptionnelle poésie proposée par le modèle haute complication «Everywhere» de Krayon, alias l’horloger constructeur Rémi Maillat: une montre capable d’indiquer, à n’importe quel endroit du globe, l’heure exacte du coucher de soleil.
Puisque l’Europe se tâte sur la réelle utilité de cette mesure que d’aucuns ont déjà abandonnée, malgré le fait que les marchés du monde auraient été peut-être assez grands pour qu’une telle complication puisse trouver son public, il semble que l’horlogerie des complications se passera d’une telle découverte. A moins que dans 109 ans, soit exactement l’intervalle de temps qui sépare cet article de celui paru dans le JSH de 1907, un journaliste s’amuse à revenir sur ce sujet… Nous serons alors en 2129!
Le sujet «changement d’heure» à la RTS, la télévision nationale suisse francophone. Sujet Nicolas Rossé, présentation Darius Rochebin. Interviewé, Joël A. Grandjean et les archives du Journal Suisse d’Horlogerie.
Sur le plateau, le commentaire de Nicolas Rossé après la diffusion du sujet. A visionner.